vendredi 26 juillet 2019

Le vieux brocanteur


nouvelle, tromperie, ruse, lampe à huile ancienne, famille


Nina Legrand, qui vient d’emménager dans le quartier, découvre pour la première fois la rue « Bric à Brac ».  Cette ruelle étroite, aux devantures d’autrefois, fourmille de petites échoppes pleines de surprises et d’objets étonnants. Intriguée par une enseigne en bois qui clame haut et fort : « Comme chez vous », Nina pousse la porte de la boutique dont le carillon annonce gaiement son entrée. Et en effet, elle doit bien l’admettre, on s’y sent très vite comme chez soi.


L’odeur d’un gros bouquet de lavande, agréablement agencé d’épis de blés séchés et de graminées, vous accueille en premier dans un gros pot à lait en métal. Puis, porte-manteau et porte-parapluie vous incite à vous mettre à votre aise. Ensuite, votre regard tombe sur un vieux canapé bleu qui vous tend les bras et vous convie à prendre votre temps. Négligemment posé sur l’accoudoir, un châle en crochet blanc attend de vous rendre service, au cas où vous auriez un peu froid. A coté, un rocking-chair se balance d’impatience ou pour faire concurrence au fauteuil Louis XVI placé face à lui. Un gros matou blanc dort à point fermé sur une bergère à fleurs près d’un feu de cheminée, qui crépite joyeusement. Sur une table ronde, une lampe à huile en porcelaine côtoie un vase grec en terre cuite peinte. Accroché au mur, un magnifique miroir ovale reflète la table ronde. Encombré de feuillets, partitions et plumes, un secrétaire avoisine une bibliothèque qui croule sous le poids des livres anciens. Deux toiles aux cadres dorées invitent à la rêverie. Une comtoise égrène les heures doucement, pour ne pas perturber ce moment hors du temps. Et, s’échappant d’un vieux 33 tours, des notes de jazz jouées par un piano langoureux, ainsi que la lumière tamisée de vieilles lampes et chandelles invitent aux confidences. Ce petit salon s’ouvre sur trois autres pièces qui, pour deux d’entre elles, ont perdues leur porte. Un paravent en cuir et toile peinte camoufle l’entrée de ce qui pourrait être une chambre à coucher avec : un lit, un berceau, une méridienne, deux angelots, une coiffeuse et une console accueillant une bassine et un broc en porcelaine. La deuxième porte mène à une salle à manger avec sa lourde table en bois, ses bancs et un vaisselier breton faisant face à une armoire normande. Sur la porte de la troisième pièce est inscrit en lettre capitales : INTERDIT AU PUBLIC. Et enfin, le sourire avenant de notre hôte, Monsieur Clément, comme il aime à être appelé, un homme sans âge aux cheveux blancs. Il vous racontera volontiers l’histoire des meubles et bibelots qui vous entourent. Pour lui, chaque meuble, chaque objet a une vie propre, une âme qu’il est bien trop content de vous conter devant une tasse de thé. Dans ces histoires se trouvent des tranches de vie d’hommes et de femmes ayant possédés un instant l’objet qu’il vous montre avec l’amour d’une mère.

Dès son entrée, Nina est conquise. Elle sent la tension des derniers jours quitter peu à peu ses épaules. C’est sans se faire prier qu’elle accepte la tasse de thé et se laisse bercer par les histoires et la voix grave de Monsieur Clément au sujet de cet éventail en fine dentelle ou encore de cette tabatière en argent. Elle finit par apprendre que les objets les plus mystérieux se trouvent dans l’arrière boutique, où seuls quelques initiés peuvent espérer y pénétrer. Lorsque Nina quitte la boutique, les mains vides mais la tête pleine d’histoires fabuleuses, elle promet au vieux Monsieur de repasser le voir prochainement.

Les jours passent et Nina a oublié sa promesse. La vie et ses ennuis l’ont pris dans un tourbillon de folie.

Tout a commencé avec Léon, son frère au chômage, qui s’étonne que son addiction au jeu l’ai mis au rouge vif à la banque et que sa femme, leur fille sous le bras, ai quitté le domicile conjugal, pour rejoindre sa chambre d’adolescente. Pas moyen pour lui d’entrer en contacte avec elle, belle maman fait un super garde de chiourme et beau papa veille discrètement au grain. Puis, se fut sa meilleure amie, Léane, qui débarqua sans prévenir avec toutes ses valises, sous prétexte que son mari est : « un con finit ». Depuis, elle est affalée sur le canapé, une boite de chocolat dans une main et une de mouchoir en papier dans l’autre, tout en regardant à la télévision des comédies romantiques.
Et depuis deux jours, elle doit prêter les deux boites à la mère de Nina qui a déboulée elle aussi, avec armes et bagages. Elle vient de découvrir, au bout de cinquante ans de mariage, que son mari l’a trompé, il y a plus de cinquante ans. D’accord ils n’étaient pas mariés, mais ils étaient fiancés tout de même ! Quant à son père, il lui téléphone tous les jours pour qu’elle fasse en sorte que sa mère rentre au bercail. Et c’est bien là le problème ! Tous attendent qu’elle règle leurs problèmes à leur place et si possible rapidement.

Etouffant dans son propre appartement, Nina prend son sac, laisse son téléphone portable sur sa table de nuit, enfile une veste et sans prévenir personne file à l’anglaise. Tout naturellement, ses pas la guide rue Bric à Brac et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, elle se retrouve devant la boutique de Monsieur Clément. Celui-ci l’accueil avec sa gentillesse habituelle et ne met pas longtemps à remarquer l’air soucieux de Nina. Pour lui changer les idées, il lui propose d’entrer dans la section interdite. La curiosité de Nina met un joli sourire sur son visage triste.
Si les autres pièces sont agencées comme un appartement, ici ne se trouve que des étagères et quelques tables qui accueillent une multitude d’objets divers et variés. Monsieur Clément lui explique que ses objets sont plus pour des connaisseurs, des collectionneurs. Nina n’en apprécie pas moins la beauté de certains. Ne lui laissant pas le temps de faire le tour de la pièce, Monsieur Clément lui propose d’aller prendre un thé, « car le thé est une vraie potion magique et lui fera le plus grand bien ». Installée de nouveau sur le canapé, le chat blanc sur ses genoux, Nina se laisse aller à la confidence. Elle lui raconte les ennuis de son frère et le débarquement dans son appartement de sa meilleure amie et de sa mère.

- Et bien entendu, tout ce petit monde s’attend à ce que je règle leurs problèmes d’un coup de baguette magique ! Voilà ! C’est ça ! s’exclame t’elle en colère, je devrais être une magicienne, une fée ou une sorcière ! 
- Il faut toujours faire attention à ce que l’on souhaite, Nina, dit Monsieur Clément de sa voix calme et posé. Parfois la vie peut exaucer nos souhaits ou nous jouer de sacré tour. 
- Et bien pour les tours, j’ai donné avec ses trois là !

Après s’être confié au vieux monsieur et avoir finit sa tasse de thé, Nina doit bien admettre qu’elle se sent un peu mieux. Elle promet de revenir et quitte la boutique, les mains vides, mais le sourire aux lèvres.

Deux semaines plus tard, la situation de Nina ne s’est guère améliorée. Elle s’est même aggravée puisque Léon a débarqué dans un appartement devenu, cette fois, beaucoup trop petit. La banque ayant saisit sa maison et sa femme ne voulant toujours pas le voir, il a donc échoué sur le clic-clac de sa sœur, au grand dam de Léane et de la mère de Nina qui ne peuvent plus pleurer devant la télévision comme elles le voudraient. C’est la bagarre pour la télécommande, comédie romantique contre sport. Et comme, à ce moment là, on veut bien se rappeler que l’on habite chez Nina, tous se tournent vers elle pour qu’elle prenne partie, pour la centième fois.

N’en pouvant plus, Nina quitte son appartement en claquant la porte et se dirige à pas rapide vers la boutique de Monsieur Clément. Celui-ci l’accueil avec son calme habituel et son charmant sourire. La sentant bouillonnante de colère, il lui ouvre la porte interdite. Nina vagabonde dans la pièce mais n’arrive pas à se calmer. Elle va d’un objet à un autre, le prenant dans ses mains puis le reposant délicatement, tout en racontant ses problèmes à Monsieur Clément. Elle raconte la venue de son frère dans un appartement devenu trop étroit pour quatre personnes. Les sempiternelles bagarres pour les programmes de télévision, sans compter les coups de fils de son père pour récupérer sa femme, ceux de sa belle sœur pour qu’on lui verse une pension alimentaire pour la petite et ceux du mari de Léane qui n’a toujours pas compris que sa femme l’ai quitté au bout de six mois de mariage.

- Je ne sais vraiment pas comment les aider, comment régler leurs problèmes, car c’est bien ce qu’ils attendent de moi. 
- Vous n’êtes en rien responsable des problèmes des autres, c’est à eux de les gérer. 

Mais Nina n’écoute pas et prenant une ancienne lampe à huile, elle s’exclame avec colère :

-Je devrais être le génie de la lampe pour y arriver ! 

A peine à t’elle finit sa phrase, qu’une épaisse fumée blanche sort de la lampe et l’enveloppe tout entière. La lampe tombe sur le sol avec un bruit sec et la voix calme et posé de Monsieur Clément résonne à l’intérieur :

- Je vous avais prévenu mon petit. Il faut toujours faire attention à ce que l’on souhaite. Vous voilà coincé dans cette lampe, jusqu’à ce que vous ayez réalisé trois souhaits. Mais pour cela, il vous faudra attendre qu’une personne achète la lampe et la frotte pour la nettoyer. Enfin, comme vous pouvez le voir, l’intérieur est plutôt cossu et confortable. Si vous vous demandez comment je le sais, sachez que j’ai été coincé mille ans dans cette lampe. L’avantage, c’est qu’on ne vieillit pas lorsqu’on est un génie. Mais, ne vous inquiétez pas, je vais tâcher de vous trouver un acquéreur très rapidement. 

Monsieur clément emporta la lampe dans le petit salon et la posa sur une table ronde, à la place de la lampe à huile en porcelaine, à coté du vase grec. Tout en se frottant les mains de contentement, il lui dit : « Voyez, je vous installe près du miroir au génie, un jeune homme s’est fait coincer dedans voici dix jours. Je suis sûr que vous aurez plein de chose à vous raconter. Enfin, lorsqu’il n’y a pas de client, bien entendu. Vous ne voudriez pas, chère Nina, les effrayer et les faire fuir. Car je vous le rappelle, ils sont pour vous le seul moyen de sortir de là ! »

Monsieur Clément, entendant l’horloge sonner 19h00, enfila son manteau et quitta sa boutique le sourire aux lèvres et en se frottant les mains, deux artefacts qui fonctionne à vendre, ça allait lui rapporter un max !

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